Les centres Paris Anim' Richard Wright et Interclub 17 ont lancé un atelier d'écriture sur le thème du voyage ! Voici deux textes à découvrir.
JETLAG
Par Brigitte Bousquet Nous sommes le dimanche 29 mars 2020. Nous sommes… Quelle étrange expression. Je ne suis donc plus seule puisque le dimanche est là pour me tenir compagnie… Et j’exulte, oui j’exulte ! Vous voyez un inconvénient à ce que j’exulte par temps de confinement vous ? Je suis en plein jetlag, en plein décalage horaire si vous préférez, lorsque je me suis levée à 10 heures à mon réveil, il était en réalité 11 heures à la radio. Bon, d’accord y a pire comme décalage, mais quand même, quel voyage, quel pied ! Traverser l’Atlantique dans un plumard de première classe en 140 avec oreiller à mémoire de forme, il faudra pas que j’oublie de laisser un avis Google sur le site d’Air France, ils se sont vraiment améliorés. Félicitations aussi au pilote de la baignoire 747 qui nous a permis d’atterrir en douceur sur le balcon, c’est fou ce qu’on peut faire aujourd’hui avec la technologie ! Du coup, quand je suis descendue de l’aéronef j’étais fraîche et proprette. Non, franchement Air France c’est top ! Faudra pas que j’oublie de leur mettre 5 étoiles. Fuck, je pète la forme, les voyages forment la jeunesse dit-on, c’est clair faut que j’en profite. Depuis le 17 mars on a droit à des super-promos : « Restez-chez vous » qu’on nous dit matin et soir, profitez-en. J’en profite un max, ce matin j’ai sorti l’équipement : sac à dos, pompes de rando, barres de céréales, gel hydroalcoolique, couverts en plastique (ouais je sais pas très écolo), cape de pluie, gourde en alu. C’est parti mon kiki, en route pour Compostelle, à treize heures trente j’avais déjà parcouru huit kilomètres entre la bibliothèque et Saint-Jean-Pied-de-Port, le panard ! A 17 heures j’ai dû faire une petite étape dans le couloir à La Rioja, j’avais le pied droit plein d’ampoules dis-donc, très beau le paysage dans cette région d’ailleurs, vraiment exotique, c’est la première fois que je vois des bananes pousser sur des valises, c’est quand même étonnant. Vachement pratique pour la cueillette en tout cas, il suffit de rouler les valises jusqu’à la coopérative où elles sont pressées avec les pieds par les randonneurs. Ben ouais quoi, on nous a dit que les agriculteurs avaient besoin de mains, mais nous on a que nos pieds à offrir, enfin faut pas se plaindre, c’est déjà pas mal. A 20 heures j’étais épuisée j’ai fait une petite halte dans un refuge, entre l’aspirateur et la planche à repasser, y avait pas foule. Je me suis calée au fond de la penderie entre les habits qui pendouillaient sur des cintres. J’ai dormi debout cette fois, ah c’était pas le confort d’Air France non, j’ai même fait un cauchemar quand une manche de chemise s’est posée sur mon visage j’ai cru que c’était une chauve-souris. Pfft, le rêve s’est envolé et je suis sortie de la penderie tout à fait rassurée et indemne. En sortant j’ai posé le pied sur un pangolin, ça pique un peu les écailles, il s’est aplati comme une descente de lit, le pauvre, j’espère que je lui ai pas fait mal. C’est dingue, vous saviez que ça existait les pangolins vous ? Moi j’en avais jamais vu avant de partir pour Compostelle. Les voyages forment la jeunesse, c’est sûr. J’étais contente d’avoir rencontré un animal à moitié préhistorique, c’est quand même rigolo ce truc qui s’enroule sur ses écailles, un peu comme un aspirateur. En tout cas bravo, faire Pékin-Saint-Jean il faut avoir de sacrées convictions, quand je pense que je me plains d’avoir quelques ampoules, lui j’imagine qu’il doit en avoir plein les pattes. Quel animal étrange, je me demande si ça s’adopte comme animal de compagnie, dire que les Chinois les bouffent, j’espère qu’ils bouffent pas les autres pèlerins, ça serait vraiment pas chrétien. Une chose est sûre en tout cas c’est que le chemin est bien calme cette année, je me demande où sont passés les autres pèlerins, j’espère qu’ils sont pas claustrophobes au moins !
VOYAGE EN CONFINEMENT
par Marie-Christel Barbin J’ai fait en 2020 – il me semble me souvenir que c’était au printemps - un voyage des plus plaisants. Rendez-vous compte. Ce voyage-là était complètement personnalisé. Habituellement j’essaye de négocier avec un tour operator un circuit qui inclut les curiosités incontournables d’un pays et qui ménage aussi des découvertes hors des sentiers battus. Cette fois-ci j’étais absolument libre de de mon emploi du temps : pas de contraintes, nul besoin de se lever à l’aube pour visiter les sites avant l’afflux des autres touristes, pas besoin d’organiser les journées en fonction de l’endroit où le coucher du soleil laisserait le souvenir le plus vivace. Le matin je me réveillais quand le soleil inondait ma chambre et dans mon lit prenais tout mon temps avant de commencer ma journée de vagabondage. Un jour je décidais d’explorer le Gujarat à l’aide des blogs de ceux qui m’y avaient devancée et des propositions de circuits de voyagistes avisés. J’hésitais toute la matinée sur celui qui me permettrait de visiter le maximum de temples Jaïns et cet autre qui après un trekking me ferait découvrir des ethnies authentiques qui n’auraient jamais vu le moindre touriste avant moi. Le lendemain je me replongeais dans mes propres albums de photos et les récits sur l’Ethiopie. Bien difficile de dire si je préfère le plaisir de découvrir ou celui d’approfondir. Un autre jour je tentais de plonger dans mes placards. Vaste programme. Découvertes en tout genre, exhumations (tiens, le collier de perles de mes 18 ans, il n’était donc pas perdu, allez, je le donnerai à Emma), souvenirs enfuis (enfouis dirait Freud) avec lettres d’amour (c’était qui déjà ce Jean ? comment ai-je pu l’oublier, lui qui écrivait si bien) et réclamations de mon cher Trésor Public. Et puis au lieu de se déplacer sans cesse, en avion, en bus pour des trajets poussiéreux, en bateaux pour des traversées interminables, là c’est le monde entier qui venait à moi, sans même avoir à sortir de mon lit douillet ou de mon fauteuil favori. Tous les musées étaient ouverts spécialement pour moi avec les conservateurs les plus distingués comme guides, les écrans du téléviseur et de l’ordinateur me donnaient accès aux chefs-d’œuvre du 7 ème art. Et les contacts avec les populations locales me direz-vous ? Foin de promiscuité, et pas de touristes pour une fois, la plaie habituelle des voyages. Quelques contacts choisis au téléphone ou par WhatsApp avec mes proches, et la contemplation de rares promeneurs dans la rue. A signaler un rituel assez déconcertant au début mais dont je m’étais assez vite accommodée : à 20H précises toutes les ethnies du pays se mettaient à la fenêtre pour claquer des mains. Et puis la cuisine locale était délicieuse. Habituellement il faut choisir entre d’une part les bizarreries locales plus ou moins épicées, au goût parfois très décalé (la citronnelle thaïe évoque toujours pour moi la lutte anti-moustique) et forcément répétitives à partir du moment où vous avez repéré quelque chose de mangeable parmi toutes les propositions inconnues (c’est ainsi que je me suis nourrie de lentilles au Rajasthan) et d’autre part une cuisine internationale insipide (le souvenir de certains bifteck-frites au Yunnan me donne encore une vague nausée). Là, le menu était très varié, cuisiné de façon artisanale. Que des produits frais. Et on pouvait se décider à la dernière minute en ouvrant le frigo. Grande classe vraiment. Et puis j’ai redécouvert à cette occasion le charme de l’authenticité. Même tenue pendant tout le voyage, et faute de spécialistes, redécouverte de gestes tout simples. Repasser, passer l’aspirateur, nettoyer le sol avec la panouille, la wassingue, la serpillère (oui, oui, je vous l’assure, l’un et l’autre se disent), se couper les cheveux et se faire les mains soi-même vous donnent le sentiment exaltant de ne dépendre de personne, d’être maîtres de son destin. Il coûtait combien ce voyage de rêve, me demanderez-vous ? Je sais que vous ne pourrez pas me croire, mais je vous l’assure, c’est le voyage le moins cher de ma vie. Tant d’agrément et purement gratuit.